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L'étrangère

C’est l’histoire d’Umay, et c’est l’histoire de beaucoup d’autres femmes aussi. L’histoire d’une jeune femme qui fuit Istanbul, fuit son mari violent avec son petit garçon, retourne vivre dans sa famille à Berlin, puis fuit à nouveau quand elle réalise que les valeurs communautaires sont plus absolues, plus écrasantes que l’amour et le droit à la liberté. Au-delà d’une dénonciation des crimes d’honneur et de traditions rigoristes, L’étrangère s’intéresse au portrait d’une femme en devenir, prête à s’affranchir, aux sentiments humains et aux relations intimes butant contre l’intolérance.

Les thèmes du film sont multiples et plus larges, confrontant, à travers le personnage d’Umay, la modernité d’une époque (et de mœurs) à des conventions qui entravent de trop, et souvent jusqu’à la mort, le destin de femmes en mal d’identité cherchant, très simplement, à vivre hors d’une structure consacrée. Ce qu’évoque, également, ce premier beau film de Feo Aladag, c’est le constat d’échec que représente ce poids rituel sur la cohésion et les échanges sociaux. Umay condamne ainsi sa famille au déshonneur (parce que prête à toute pour son fils) quand celle-ci la renie, réprouve son manque aux traditions jusqu’à vouloir accepter, valider l’inacceptable.

Chacun, à sa façon et à son échelle, est victime d’une autorité religieuse qui confine dans des codes, impose des règles limitant l’existence et les liens que l’on peut, que l’on voudrait éventuellement tisser avec d’autres. Mehmet et Acar, les deux frères d’Umay, élevés dans une éducation patriarcale sévère perpétuant l’héritage conventuel et les interdits, paraissent prisonniers d’un rôle qu’ils doivent endosser, "accepter", entravés eux aussi en dépit d’une apparente autonomie. Et leur violence, inutile, répréhensible évidemment, traduit en filigrane un mal-être aveugle (scène tétanisante qui voit Mehmet, ivre de colère, se déchaîner devant le foyer où s’est réfugiée Umay), une perdition totale quand le drame surgit à un coin de rue et ne laissant, en définitive, que des victimes abandonnées à leur terrible sort.

Le film prend son temps, mais jamais sans ennuyer, pour décrire, observer des situations qui s’emballent et qui évoluent. La mise en scène est discrète, proche des personnages vacillant, s’étreignant ou se déchirant, et presque sensuelle aussi par instants (joli moment quand Umay et Stipe, son nouveau petit ami, s’embrassent pour la première fois). La fin, en revanche, en rajoute peut-être inutilement dans le pathos et la dureté du sujet, venant altérer quelque peu une œuvre qui avait su, tout du long, se montrer simple et même pudique dans sa description d’une réalité aux échos toujours (et malheureusement) d’actualité.

Sibel Kekilli, qu’on n’avait pas revu en France depuis le magnifique Head-on, est superbe dans l’incarnation de cette femme prête à s’émanciper tout en s’efforçant de préserver ses origines filiales et ethniques. Là où elle irradiait dans le film de Fatih Akin, elle oppose, compose ici un jeu tout en silences et en regards, en détresse et en charme. Condamnant, universellement, toutes formes de sectarisme à travers le prisme de la religion musulmane et de la communauté germano-turque, L’étrangère est un film qui s’ouvre à un frêle, très frêle espoir, incertain et douloureux à la fois.

L'étrangère
Tag(s) : #Films

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