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Entre les murs

Finalement, le titre est inexact : le film aurait dû s’appeler Face aux murs, ou Contre les murs, car c’est un peu l’impression ressentie par le spectateur quand il découvre François et ses élèves à l’heure de la rentrée, deux entités à part entière chacune d’un côté d’un mur qui semble infranchissable, deux mondes qui ne parviennent pas, ou rarement, à se comprendre, à s’écouter et à se respecter (François y va aussi de sa malpolitesse, "pétasse" et "scolairement limité" faisant face au tutoiement, aux insultes, au refus de lire ou de s’excuser). Un mur fait d’incompréhension, de manque d’égard, d’intolérance parfois, un mur aussi face aux carences multiples d’un système qui ne fonctionne pas, paralysé par des contrastes de mentalités, de cultures, d’appartenance différenciée à une société.

La mixité sociale est primordiale, vitale dans un monde en perpétuelle évolution, mais difficile à idéaliser, et en définitive presque illusoire face aux réalités d’aujourd’hui. Et, plus que tout, il y a ce mur d’incommunication gangrénant chaque effort, chaque mieux, chaque victoire dérisoire. Professeurs et élèves, parents et professeurs, élèves et parents, et même élèves et élèves : de toutes parts une entente et une corrélation parasitées, des liens ténus se brisant aux moindres désaccords, aux moindres froissements. En privilégiant le particulier (une classe de 4e d’un collège parisien "difficile"), Laurent Cantet et François Bégaudeau s’ouvrent au général sans livrer d’état des lieux inquiétant, de vérités définitives ou de débat de société fumeux.

Ce n’est pas un système d’éducation qui est jugé, voire remis en cause, et cela ferait sans doute un autre film, mais c’est ce qui est autour, à l’extérieur, en périphérie, hors des murs (ce serait alors le titre parfait) ; hors de cette classe qui, à aucun moment, ne s’arroge le droit d’une représentation unique, d’un modèle de critique sociale. Ce hors des murs, c’est une mère expulsée, c’est une menace de retour au bled, des brouilles et des malaises qui ne se disent pas. C’est dans ce qui n’est pas montré, c’est dans ce qui est suggéré qu’il faudrait peut-être chercher et trouver les réponses éventuelles au "problème". L’éducation des parents ? Des cours inadaptés, des professeurs largués ? Des élèves qui voudraient et pourraient, mais en définitive ne veulent pas, en conflit permanent contre ce qu’ils croient être une autorité, contre des valeurs de jugement qui les excluent ?

Qui blâmer lors de la scène du conseil de discipline ? L’aveuglement d’une mère qui refuse d’affronter l’échec de son fils ? L’entêtement de celui-ci qui participe à son propre rejet ? Un corps enseignant qui paraît dépassé, n’apportant que des réponses vagues et des solutions pré-mâchées ? Rien n’est sûr, rien n’est facile, rien n’est établi, et personne n’a le beau rôle : les élèves dans leur attitude bornée et se posant sans cesse en victime, François dans ses contradictions et ses incertitudes, les professeurs enfermés dans une logique de punition / répression.

Personne aussi ne trouve les mots, ces mots qu’il faudrait dire pour un dialogue nécessaire, pour instaurer un schéma inter-relationnel à la portée de tous. Et François ne trouvera pas les siens non plus devant cette élève venant lui avouer qu’elle n’a rien appris lors de son année scolaire. Mais le film, débarrassé de tout superflu, ne se braque pas dans un constat de débâcle, et montre au contraire le combat quotidien qui se joue en classe pour faire respecter les règles et les usages, dans le langage autant que dans l’écrit (et le corporel). Il montre un enseignant qui se donne, qui se bat oralement avec ceux qui contestent son autorité et les fondements institutionnels. Entre les murs ne sermonne pas, il exprime les réalités complexes de l'école et de l'enseignement d’où surgissent des interrogations sociétales.
 

Laurent Cantet sur SEUIL CRITIQUE(S) : L'atelier, Arthur Rambo.

Entre les murs
Tag(s) : #Documentaires

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