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Blind

Ingrid est devenue aveugle. Une histoire de nerf optique abîmé, qui s’est désagrégé. Les ténèbres maintenant, elle connaît. Assise sur une chaise face à la fenêtre, elle passe ses journées à écouter dehors, la radio ou de la musique, et à écrire aussi, et puis à imaginer. Elle s’imagine des choses. Le parquet qui craque. Un souffle. Son mari, Morten, qui revient dans leur appartement et qui l’observe depuis le fauteuil du salon, près des vinyles. Un autre homme et une autre femme qu’elle ne connaît pas et qui vivent sans se croiser, l’un en face de l’autre. On ne saura rien d’Ingrid, rien de ce qu’elle faisait avant, rien de qui elle est, à peine deux ou trois choses, un époux, pas d’enfant. Elle est un mystère, genre blonde opaque, un fantôme peut-être. Est-elle même vraiment aveugle ?

Elle parle pourtant d’elle, évoquant ses souvenirs, parlant de lui, de son travail, des endroits qu’elle connaît et où elle ne va plus. On suppose qu’elle est romancière qui écrirait un livre dont les personnages (Elin et Einar) fusionnent à sa propre réalité, projections d’elle et de Morten, saillies de ce qu’elle aurait voulu être, de ce qu’elle pense de Morten, de ce qu’il fait sans qu’elle puisse le voir, drague 3.0 et morne adultère. Dans son repli sur soi, Ingrid (Ellen Dorrit Petersen, étrange et glaciale) envisage un nouveau rapport au monde qui entrelace, sans jamais prévenir, réminiscences et fantasmes, obsessions sexuelles et matérialité.

Ces bouleversements incessants étonnent, intriguent et déroutent au début (changements de lieux, de propos ou de personnages dans la même scène), puis finissent, dans un systématisme tournant à vide, par brouiller les intentions du scénario et l’émotion, ténue, que l’on peut ressentir parfois, au détour d’un geste ou d’un regard. Eskil Vogt, co-scénariste d'Oslo, 31 août, devise sur la solitude de nos sociétés actuelles où se télescopent télévision et porno sur Internet, sites de rencontres et individualisme poussé. Entre flottements sensoriels, scènes touchantes et instants ratés, son film se déstructure et se restructure avec douceur et élégance, puis se délite sous nos yeux jusqu’à un final appuyé dans le dernier acte qui veut trop dire sur nos certitudes soudain ébranlées, et nos sentiments mis à terre.
 

Eskil Vogt sur SEUIL CRITIQUE(S) : The innocents.

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Tag(s) : #Films

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