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Une nouvelle amie

Le secret est rapidement dévoilé, sans tralala, évitant tout faux suspens pour établir un fait unique, un épicentre : David aime s’habiller en femme. Claire, la meilleure amie de Laura, son épouse qui vient de mourir, le découvre un jour dans son salon, donnant le biberon à sa fille en portant robe et perruque. D’abord troublée, d’emblée rétive, Claire l’aidera finalement à assumer la part entière et inexplorée de sa féminité. Librement adapté d’une nouvelle de Ruth Rendell qui inspira naguère, avec succès, Claude Chabrol et Pedro Almodóvar, Une nouvelle amie assimile l’entreprise du deuil à la recherche de sa propre identité (et de ses propres désirs aussi, les primaires ou les plus profonds, les plus ambigus).

David et Claire vont faire leur deuil ainsi, d’une autre façon. David devient Virginia, double transgenre de Laura et prolongement révélé (transgressif) de David, et Claire «aimera» David in fine quand il sera Virginia, et Virginia seulement (et donc Laura, par substitution, l’amie d’enfance dont elle semblait amoureuse, et encore, et toujours). François Ozon s’amuse gentiment à brouiller les cartes et les théories du genre, inverse les allures et les champs d’action, oppose pulsions de vie et de mort, suggère même lesbianisme refoulé et nécrophilie inconsciente. La famille devient une friche, un terrain de jeu de figures interchangeables où le père devient la maman, et l’homme une femme, et le couple un trio, et la mère (comme l’épouse) une entité à redéfinir.

Modulations autour d’une émancipation convoitée, d’un traumatisme déclencheur (la mort de Laura) menant à l’acceptation de soi. De fait, David n’est pas gay (et ne le sera qu’à la faveur d’un mensonge ou d’une vision fantasmatique de Claire), n’est pas malade ou un pervers qui s’est fardé : David est un crossdresser (Chantal Poupaud, créditée au générique, avait réalisé un beau documentaire sur cette activité vécue, le plus souvent, dans la clandestinité). David aime "simplement" s’habiller en femme, passion qu’il partageait déjà avec Laura, en privé dans l’orbite domestique. David aime se maquiller, passer une jupe, mettre des talons, choisir un sac… "Fonctions" de la femme, instituées et normatives, que David se réapproprie en toute ingénuité.

Dommage pourtant que le film soit trop lisse, trop balisé, soucieux de provoquer l’ambiguïté (tant mieux) tout en ne voulant aller trop loin (tant pis). Ne pas froisser, ne pas choquer, s’offrir au tout-venant. Entre comédie, mélo et/ou tragédie, le film paraît ne jamais vouloir trancher (quand Almodóvar, lui, sait marier les trois avec le brillant qu’on lui connaît). Comme David/Virginia, le film se cherche, engage des pistes pour les abandonner ensuite, questionne à peine les possibles identitaires et sociaux qu’un happy end vaguement subversif laisse d’ailleurs entrevoir. Romain Duris, en mode mashup Amanda Lear / Jeanne Moreau, se glisse dans ce rôle casse-gueule avec une finesse incroyable, déjouant les ruses de la parodie replète. Ni Cage aux folles ni Chouchou, ni drag ni soumise, Une nouvelle amie narre le renouveau d’un homme face aux apparences d’une société qui rechigne à les dépasser.


François Ozon sur SEUIL CRITIQUE(S) : Le temps qui reste, Dans la maison, Jeune et jolie, L'amant double, Grâce à Dieu, Été 85, Peter von Kant.

Une nouvelle amie
Tag(s) : #Films

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